Jean Auguste Dominique INGRES

Jean Auguste Dominique INGRES (Montauban 1780 - Paris 1867) L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint Toile. Signé et daté en bas à droite J. INGRES 1848 (Très légèrement réduit en largeur, lors de la restauration intervenue en 1958) 41,5 x 32,5 cm Adjugé 450 000 euros le MERCREDI 8 DECEMBRE 2010 Provenance : Peint par Ingres pour Monsieur Marcotte-Genlis en 1848, avec son pendant aujourd’hui au Metropolitan Museum de New York, collection Lehman (reproduit page 50) ; Vente Marcotte-Genlis, Paris, (Me Sibire), 17 - 18 février 1868, n° 19 ; Vente Monsieur M…, 18 février 1884 ; Dans la descendance de la famille Marcotte ; Vente anonyme, Monaco, Sotheby’s, 8 décembre 1990, n° 311, reproduit ; Cette œuvre est restée jusqu’à ce jour dans la famille du commanditaire Expositions : Exposition Universelle, Paris, 1855, n° 3361 ; David et ses élèves, Paris, Petit-Palais, 1913, n° 188 ; Mise en scène : Charles Quint et l’imagination du XIXème siècle, Gand, Musée des Beaux Arts, 1999 - 2000. Bibliographie : Ingres, Cahier X, répertorié ; A. Magimel, œuvres de Jean - Auguste Ingres gravées au trait sur acier par A. Reveil 1800 - 1850, Paris, 1851 ; C. Vignon, « Exposition Universelle de 1855 », Beaux - Arts, Paris, 1855, p. 191 : Nous mettrons au nombre des tableaux hors ligne, d’abord tous les petits tableaux d’intérieur, où le maître a déployé avec son inspiration et son admirable étude des physionomistes et des expressions, cette science prodigieuse de détails archéologiques qui est une de ses gloires…, Le poète Aretin recevant avec dédain une chaîne d’or que lui envoie Charles Quint… ; T. Silvestre, Histoire des Artistes vivants, Etudes d’après nature, Paris, 1855, cité p. 35 ; E. Saglio, « Un nouveau tableau de Monsieur Ingres, Liste complète de ses œuvres », La Correspondance littéraire, 5 février 1855, pp. 75 - 80 ; O. Merson, Ingres, sa vie et ses œuvres avec le Catalogue Raisonné de ses œuvres, par Emile Bellier de la Chavignerie, Paris 1867, cité p. 117 ; H . Delaborde, Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine, Paris, 1870, n° 59 ; H. Lapauze, Ingres, sa vie et son œuvre, Paris, 1911, p. 188 ; G. Wildenstein, Ingres, Londres, 1954, n° 252, reproduit fig. 159; D. Ternois, Ingres, Paris, 1980, n° 114, reproduit p. 177 ; Catalogue de l’exposition Ingres, in pursuit of perfection, Louisville - Kentucky, Speed Art Museum, 1983 - 1984, et Fort Worth - Texas, Kimbell Art Museum, 1984, cité p. 240; D. Ternois, Tout l’œuvre peint de Ingres, Paris, 1971, n°84b, reproduit ; G. Vigne, Ingres, Paris, 1995, cité n° 194, p. 336 ; Catalogue de l’exposition Romance and Chevalry, New Orleans, Museum of Art, 1996, cité n° 35, p. 260 ; D. Ternois, « Lettres d’Ingres à Marcotte d’Argenteuil. Dictionnaire », Archives de l’Art français. Nouvelle période, tome XXXVI, Nogent le Roi, 2001, p. 44, reproduit fig. 42 ; En 1815, alors qu’il était à Rome, Ingres peignit une paire de panneaux, L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint et L’Arétin chez le Tintoret dont il avait vraisemblablement trouvé le sujet dans un des nombreux ouvrages sur la Renaissance qu’il avait l’habitude de lire, toujours en quête d’inspiration. Ces deux tableaux aujourd’hui séparés, appartiennent à des collections privées américaines (voir catalogue de l’exposition Ingres, Paris, Louvre, 2006, reproduits fig. III157 et III. 158, p. 216) En 1848, il fit une réplique de ces deux pendants pour Marie Jean Baptiste Joseph Marcotte - Genlis (1781 - 1867), frère de son ami Marcotte d’Argenteuil. A sa demande ou peut - être en geste de remerciement ainsi qu’il avait parfois l’habitude de le faire. Ingres avait l’habitude de répéter ses tableaux, avec plus ou moins de variantes. S’il s’agissait pour la plupart du temps de commandes, certains y voient également un désir de propager ses premières œuvres par la gravure. Il aurait fait ainsi plusieurs répliques pour permettre notamment l’illustration par la gravure du recueil de ses œuvres par Magimel, publié en 1851. Notre tableau appartenant donc à la deuxième série, présente d’importantes variantes par rapport à la première version. Le Musée Ingres de Montauban possède une vingtaine de dessins préparatoires pour ce tableau. L’Arétin est notamment représenté assis, à demi affalé dans un fauteuil, et non plus debout comme dans la version de 1815(voir G. Vigne, Dessins d’Ingres - Catalogue raisonné des dessins du Musée de Montauban, Paris, 1995, n° 1102 à 1111, reproduits pp. 198, 199 et 201). Vraisemblablement un parti pris politique symbolisant le détachement d’Ingres envers la critique. Ternois y voit une leçon sur la dignité morale de l’artiste face aux puissants du monde. A l’arrière plan, Ingres introduit la figure d’une jeune femme nue, une des fameuses « soubrettes » de l’Arétin ? (voir G. Vigne, Paris, 1995, n° 1114, reproduit p. 201). Un autoportrait du Titien apparait en fond (voir G. Vigne, Paris 1995, n° 1101, reproduit p. 199). On remarque également des variations dans les couleurs. Une confusion a pu être faite en son temps sur la date de cette œuvre. Dans deux lettres de 1851 (voir Ternois, Nogent le Roi, 2001, p. 44), Ingres mentionne cette année comme date de remise des tableaux. La différence de dates, 1848 et 1851, s’explique par le fait qu’Ingres, connu pour son perfectionnisme, ait pu reprendre ses tableaux afin d’en soigner quelques détails et les rendre ensuite. D’autant plus que c’est cette seconde série qui est publiée par Magimel, toujours en 1851. Ingres la jugeait donc logiquement supérieure à la version de 1815. (A noter que chez Magimel, les tableaux de 1848 sont répertoriés sous la date de 1815). On a retrouvé des traces des lectures de Ingres dans les nombreux papiers laissés par le peintre, dont plusieurs épisodes sur la vie de l’Arétin, glanés dans les œuvres auxquelles nous avons déjà fait allusion plus haut. Pour la figure du poète, Ingres s’inspira sans doute d’un portrait perdu attribué au Titien qui fut son ami, et qui fut popularisé par la gravure de P. de Jode. Les recherches actuelles ont toutefois rejetées que ce tableau puisse représenter l’Arétin. Certains ont vu dans ce personnage de l’Arétin tel que l’a traité Ingres, une manière de répliquer à la façon dont il a été malmené de nombreuses fois par la critique de son temps, et effectivement l’Arétin, critique humoristique se vendant au plus offrant, y apparait sous les traits d’un maître - chanteur, fat et désinvolte, mais également terrorisé et ridiculisé par le Tintoret qui le tient en joue. L’écrivain Pierre l’Arétin (Pietro Aretino,1492 - 1556) fut banni de sa ville natale Arezzo lors de sa première jeunesse. Il vécut à Pérouse puis à Rome où le puissant banquier Chigi le prit sous sa protection. Là également il ne tarda pas à se faire remarquer par ses écrits critiques ou licencieux, ses comédies, où il tournait la société contemporaine en dérision. Devenu célèbre grâce aux Ragionamenti, parus en 1534, peinture de la société caustique et scabreuse, il faisait lui-même scandale par sa vie débauchée. C’est pendant sa période romaine qu’il publia ses écrits les plus célèbres connus sous le nom de Sonnets luxurieux. Il se réfugia ensuite à Mantoue et à Venise. N’épargnant personne dans ses critiques et moqueries qu’il écrivait souvent sur commande, il fut surnommé le fléau des princes. La plupart des puissants, dont François 1er et Charles Quint, cherchèrent à la soudoyer afin d’être épargnés. A sa mort il fut mis à l’index. Charles Quint aurait ainsi cherché à acheter son silence après une expédition malheureuse aux portes de Tunis. Il lui aurait envoyé une chaîne d’or que l’écrivain jugea trop modeste faisant le commentaire suivant à l’envoyé « un bien mince cadeau pour une si grande sottise ». C’est cette anecdote qu’Ingres met en scène ici. Le pendant L’Arétin chez le Tintoret, reprend quant à lui un autre épisode de la vie de l’écrivain. Ayant appris que l’Arétin le calomniait, le Tintoret le fit venir chez lui sous prétexte de faire son portrait. Le peintre brandit alors un couteau devant l’écrivain épouvanté en disant ne bougez pas je veux juste prendre vos mesures. Cependant Ingres se mépris sur le sens de pistolese, couteau de chasse, qui était utilisé dans le récit italien et représenta le Tintoret avec un pistolet. Le pendant de notre tableau, L’Arétin et le Tintoret, est conservé au Métropolitan Museum de New York, (collection Lehman).